Pour ou contre les immeubles qui côtoient les sommets ? Les gratte-ciel font débat dans les villes européennes. Certaines sont favorables à l’immobilier neuf vertical, d’autres complètement réfractaires. Toujours plus hautes, toujours plus mixtes, ouvertes sur la ville, les tours de logements et de bureaux continuent à sortir de terre en Europe et plus largement dans le monde entier. Tour du monde des projets du moment et zoom sur les discussions entre opposants et défenseurs de l’immobilier tout en hauteur. Un sujet d’actualité immobilière intéressant pour penser et repenser la topologie de la ville européenne de demain.
Les grands projets de gratte-ciel européens
Dans quelques années, le plus haut gratte-ciel d’Europe occidentale prendra place dans le ciel de Madrid. Avec ses 330 mètres de haut, la Madrid Norte verra sa première pierre posée en 2025. Au cœur de la capitale espagnole, pas de débat, l’Espagne reste majoritairement favorable à la sortie de terre de programmes immobiliers neufs tout en verticalité. La skyline madrilène est à ce jour déjà composée de plusieurs gratte-ciel, cinq au total qui font l’identité pour ne pas dire la fierté de la ville.
Dans d’autres villes, les débats font rage. C’est le cas à Paris ou à Berlin. La capitale a inauguré en septembre dernier en toute discrétion les tours Duo pensées par Jean Nouvel. Paris a une nouvelle fois fait la démonstration de son envie de voir la skyline s’étoffer encore. Mais pour autant, ces projets suscitent les mécontentements auxquels Anne Hidalgo doit faire face. Elle est très largement confrontée aux écologistes et à la droite qui affirment que ce type de gratte-ciel ne trouve plus sa place aujourd’hui, trop énergivore et inesthétique dans le ciel de la capitale. Certains édifices ont d’ailleurs fait trop de vagues ces dernières années, finalement abandonnés face aux virulentes contestations.
Le sujet est épineux, sensible, à l’image de la concertation lancée début décembre suite à une autre inauguration, celle de la tour Hekla imaginée par Jean Nouvel elle-aussi. Ainsi, les « États Généraux de la transformation des tours » avec pour objectif la réduction de leur impact carbone est en cours.
Du côté de l’Allemagne, Berlin fait aussi face à une vague de mécontentement. Une tour de bureaux de « seulement » 140 mètres de hauteur est vivement critiquée par les personnalités politiques de la ville mais aussi par les riverains. Reste à savoir si ce soulèvement est lié à la hauteur de la tour ou au fait qu’elle doit abriter le siège allemand d’Amazon. L’un des griefs souvent évoqué à l’encontre du projet ? Une conséquence néfaste : la gentrification.
« Si vous avez des débats en Allemagne, ils sont davantage sociologiques et politiques que liés à la planification », explique Hermann Horster, responsable ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance) chez BNP Real Estate. Pour lui, les débats aujourd’hui disent « voulons-nous encore ces tours aussi énormes issues des fantasmes d'architectes masculins ? »
« L'acceptation, aujourd'hui, des projets qui ont un impact urbain fort par les populations, est de plus en plus difficile. Et plus le projet est impactant, plus il va y avoir des oppositions, des polémiques... », estime Olivier Estève, directeur général délégué de la foncière française Covivio.
Critiqués, les gratte-ciel fleurissent en Europe
C’est l’une des contradictions du débat. Les gratte-ciel sont toujours très présents dans le paysage européen. Les IGH ou Immeubles de grande hauteur comme ils sont appelés dans le jargon de l’immobilier d’entreprises sont aujourd’hui construits dans les quartiers d’affaires des villes d’Europe.
C’est le cas à Londres par exemple qui voit régulièrement la City s’étoffer de nouveaux gratte-ciel. Au cœur de la ville, le « niveau de services est poussé à son maximum » selon le directeur France de Knight Frank, Vincent Bollaert, œuvrant au sein cette société britannique experte en immobilier d’entreprise.
Mais quels sont les services les plus demandés dans les tours ? Au-delà des espaces de bureaux, les usagers plébiscitent les restaurants, les salles de sports, les balcons ou terrasses en plein air prisés pour prendre l’air ou pour faire une pause sans descendre en pied d’immeuble.
Autres atouts des gratte-ciel, leurs arguments verts. Lumière, végétation, mobilités douces s’invitent dans les plus hautes tours du monde. La verticalité offre d’infinies possibilités vertes.
Alors oui, les gratte-ciel peuvent être énergivores comme l’affirment leurs détracteurs MAIS ils sont aussi construits aujourd’hui non loin des hypercentres, zones parfaitement desservies via les transports en commun. Plus besoin de prendre la voiture pour se rendre au travail, l’empreinte carbone des usagers est donc drastiquement réduite. Ajoutons que certains programmes immobiliers neufs en France et en Europe côtoient le ciel mais aussi la perfection énergétique. Les tours sont de plus en plus pensées comme des bâtis équilibrés, passifs pour certains, briguant et obtenant des labels et certifications tels que Leed, HQE, Well ou Breeam sans parler du respect de la RE 2020, Réglementation Environnementale 2020.
La mixité est également intégrée dans tous les projets, permettant de mêler les usages et les populations. Citons par exemple la Tour Triangle qui prendra place au sud de Paris (15ème arrondissement) et qui déclinera des bureaux mais aussi des commerces, une crèche ou encore un hôtel. Elle est conçue pour donner la possibilité de changer rapidement et facilement les usages, usage de bureaux en usage de logements pour le principal.
La construction de cette tour a débuté en février 2022 pour un budget annoncé de 660 millions d’euros. Une fois sortie de terre, elle s’affirmera comme le troisième immeuble le plus haut de la capitale avec ses 180 mètres de haut et ses 42 étages, juste derrière la tour Eiffel et la tour Montparnasse. Fin des travaux et livraison prévues pour le premier semestre 2026.
Un tableau intéressant qui doit être nuancé par les arguments des réfractaires aux gratte-ciel. Le principal étant le caractère énergivore des tours, il faut lui ajouter le traumatisme causé par les attentats du 11 septembre 2001. Mais si la panique des très hautes tours est encore présente, elle tend à s’estomper avec les années. La pandémie de Covid-19 a également rendu les usagers méfiants à l’encontre des ascenseurs, craignant la contamination dans les petits espaces clos. Les crises qu’importe leur nature (sociale, sanitaire…) ont largement tendance à remettre les tours en cause. Le temps passant fait se vérifier cette réalité.
Quelles sont les règles de construction des gratte-ciel ?
Chaque pays et plus encore chaque ville du monde a ses règles en matière de construction de tours. Intéressons-nous aux strictes règles d’urbanisme appliquées à Paris. Après la sortie de terre de la tour Montparnasse haute de 210 mètres, le code de l’urbanisme parisien a été revu. Cette construction a fait couler beaucoup d’encre et reste encore pour certains un vrai traumatisme.
En 1977, les immeubles ne pouvaient ainsi dépasser 37 mètres de hauteur dans la capitale. En 2010, le règlement d’urbanisme a été revu par le Conseil de Paris qui a accordé une hauteur de 50 mètres pour les bâtiments d’habitation et de 180 mètres pour les tours de bureaux. Une évolution du PLU, Plan Local d’Urbanisme présentée comme nécessaire face à la densité de la population parisienne. Cette petite révolution immobilière a évidemment fait grincer des dents et est encore aujourd’hui perçue comme une absurdité, par les écologistes notamment.
Les gratte-ciel devraient ainsi continuer à faire débat ces prochaines années, jugés nécessaires dans certains cas, réponses adéquates dans d’autres ou aberrations écologiques par ses détracteurs. Dans quel camps êtes-vous ?