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Dans l'imaginaire de la Smart City

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La Smart City, la ville intelligente, un concept au succès grandissant qui ne se dément pas mais suscite des questionnements, des craintes. À l'heure des nouvelles technologies, du Big Data et de l'intelligence artificielle, les atouts de la Smart City penchent du côté des usagers et des décideurs. Le beurre et l'argent du beurre pourrait-on penser. Mais en marge, ou plutôt en complément, de ce modèle de Smart City plus ou moins établi, des réfractaires dessinent leurs projets, évoquent les limites de la ville intelligente. Dans leur imaginaire, la ville est différente, efficiente, à la fois soft et smart, territoire de dialogues et de décisions, zone de protection des données publiques et privées. Alors que le marketing semble s'emparer du concept de Smart City, attachons-nous à rêver de la ville idéale, celle qui ne suit pas tout à fait les piliers de la classique ville intelligente.

De la Smart City imaginaire à la réalité biaisée

Les chimères et les utopies peuplent nos pensées les plus futuristes et innovantes. Nous rêvons d'un monde plus juste, plus beau, plus riche, plus vivable, d'une ville, intelligente évidemment, "plus souhaitable et plus riche" pour reprendre les propos publiés dans The Conversation par le spécialiste du design et de l'innovation Nicolas Minvielle et par le chercheur et anthropologue Olivier Wathelet. Les deux experts de la ville, mais pas seulement, font un arrêt sur image, sur les images et scénarios de la Smart City telle qu'elle est pensée puis réalisée. Entre imaginaire et réalité, tout un monde.

Toujours plus de citoyens dans la Smart City

Les prévisions du Département des affaires économiques et sociales de l'ONU sont formelles : en 2050, 2/3 des citoyens résideront en zone urbaine. C'est donc 2,5 milliards de citadins supplémentaires que comptera la planète d'ici à 2050. Un afflux massif, très massif même, de population en milieu urbain qui entraîne de nouveaux défis pour la ville dont celui de devenir intelligente et résiliente.


Pour y parvenir, les données sont perçues comme un eldorado, comme LE moyen de parvenir à une ville plus sûre, plus durable, plus participative. Entre Civic Tech et vidéosurveillance, les nouvelles technologies sont partout, captant tous les instants de vie dans la Smart City. Un idéal que certains plébiscitent et que d'autres critiquent, mettant en avant un marché financier très important aujourd'hui dominé par les GAFAM : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.


Plus les années passent, plus les investissements et dépenses liés à la ville intelligente sont massifs. Une augmentation de 17,7% de dollars a été observée entre 2018 et 2019 (environ 96 milliards de dollars investis). La ville devient ainsi un lieu convoité à la fois par les acteurs publics et les acteurs privés et idéalisé ou détesté voire rejeté par les citadins. Nous reviendrons sur les travers de la ville intelligente en seconde partie de cet article.

La Smart City, une utopie durable

L'objectif premier de la ville intelligente était de devenir verte et durable. Son dessein ? L'amélioration des consommations énergétiques sur le territoire urbain. Pour reprendre les propos du doctorant EVS-Rives de l'École nationale des travaux publics de l'État, Yasser Wahyuddin : "Elle [la Smart City] était le cheval de Troie d'IBM pour entrer dans le secteur de l'énergie".
Volonté verte donc poussée à son paroxysme dans l'imaginaire de la Smart City. Et cet objectif premier est évidemment toujours d'actualité. La ville durable est plus encore une ville intelligente qui gère ses ressources et ses déchets à la perfection. Au directeur général de Birdz d'expliquer : "grâce à des capteurs, nous pouvons détecter les fruits d'eau sur le réseau, mieux maîtriser la consommation et supervision la qualité de l'eau que nous consommons. Nous visons que la Smart City doit être au service de l'homme et fournir des services au plus grand nombre."


Et l'objectif semble en partie en passe d'être atteint, cette utopie devenue réalité. En effet, selon un récent rapport publié par le McKinsey Global Institute, l'intégration de capteurs dans la Smart City pourrait permettre de réduire de 25% les fuites d'eau dans les villes.

La santé publique au cœur des enjeux de la Smart City

Autre dessein de la Smart City, faire en sorte que ses citoyens soient bien, que leur bien-être soit amélioré et qu'ils soient heureux d'évoluer dans leur ville. Cela passe dans un premier temps par la suppression partielle ou totale de certaines nuisances environnementales. La nuisance majeure ? La pollution bien sûr. À lui seul, l'air vicié et pollué entraîne 7 millions de décès par année selon l'Organisation Mondiale de la Santé. Considérable !


La Smart City intègre donc les objets connectés pour surveiller son air et sa qualité. Si les "quotas" sont dépassés, des mesures rapides sont mises en œuvre. "Nous avons installé des capteurs à Eindhoven, aux Pays-Bas, afin de cartographier la pollution urbaine et mettre en évidence les corrélations entre les pollutions (CO2 et allergènes), les déplacements des citoyens et la santé publique. Ces informations viennent nourrir un laboratoire de recherche", explique Marie Bourget-Mauger. "La ville est cartographiée en temps réel. Ainsi, les habitants peuvent adapter leurs déplacements pour éviter les zones de pollution élevée. La qualité de l’air est un sujet extrêmement sensible pour les villes. Elles ont besoin d’avoir des informations factuelles pour trouver des réponses à ces problèmes de santé publique" détaille Édouard Henry-Biabaud, Business Development Manager chez Axians.


Mais dans la réalité, lutter contre les nuisances environnementales n'est pas une mince affaire. Les politiques générales et locales ont beau abonder dans ce sens, certains éléments leur échappent, la perte de contrôle n'est alors pas très loin. Prenons l'exemple de Waze par exemple qui ne se soucie aucunement de la pollution engendrée par les véhicules.
Si l'application qui dirige le trafic en temps réel selon le meilleur itinéraire envoie les automobilistes dans un même secteur, le pic de pollution n'est pas loin. Les capteurs peuvent s'affoler, les pouvoir publics seront bien en mal de lutter contre ce phénomène, contre LE phénomène Waze.


Une vraie confrontation s'opère avec des exemples marquants. Aux États-Unis par exemple, la protestation gronde. Une signalétique anti-Waze a même été installée dans certains quartiers des grandes villes. "Avec ces applications, la ville perd le contrôle de ce qu’elle peut faire, elles ont un effet sur la dynamique, les mobilités urbaines. C’est une sorte d’ingérence indirecte", explique Stéphane Roche. "Nous sommes aujourd’hui dans une confrontation entre l’espace virtuel et l’espace réel, les collectivités locales ont été déstabilisées. Pourtant un maire a énormément de pouvoir : il peut réguler la logistique urbaine, interdire certains véhicules à certaines heures. Certaines villes réagissent en expulsant Uber. D’autres développent des offres pour faire face aux géants du numérique. Lyon, par exemple, a créé Optimod, un système qui permet de choisir son mode de transport et qui se présente comme le pendant de Google Maps", affirme encore Jean Haëntjens, économiste et urbaniste.


Utopie toujours, la voiture autonome pensée par Google et Apple deviendra-t-elle une aide à la mobilité urbaine ou son pire cauchemar dans les années à venir ? La réponse aux problématiques environnementales dans la Smart City ou sa détractrice ? Jean Haëntjens tente d'apporter quelques éléments de réponse sur ce point : "La bulle autour de la Smart City est en train de se dégonfler. La voiture autonome ne résoudra pas le problème de la circulation dans les villes et va plutôt le compliquer. Il faut installer des capteurs sur tous les trottoirs et modifier les infrastructures urbaines pour la faire fonctionner. Pour l’instant, les États poussent les constructeurs automobiles dans cette course technologique. Mais ils ont énormément de mal à trouver des terrains d’expérimentation urbains. Quelle ville a intérêt à s’endetter et à se trouver confrontée aux incertitudes réglementaires ?

De la Smart City à la Wise City, des priorités déplacées

Si la Smart City a longtemps été présentée comme le seul modèle viable pour rendre la ville plus intelligente, plus cohérente, devant les travers qu'elle présente dans sa mise en œuvre, d'autres modèles émergent. Idéalistes dans un premier temps, ils prennent aujourd'hui de l'ampleur, plus que de simples imaginaires. C'est le cas de la Wise City ou "ville sage" qui pose les bases d'une ville plus raisonnable, plus résiliente, atteignant ses objectifs en usant et en utilisant moins de ressources. La Wise City souhaite tisser des synergies pour ne pas mettre à mal le fragile écosystème ville.


Il faut cependant comprendre que la Smart City et la Wise City ne se confrontent pas, elles ne sont pas diamétralement opposées. La seconde est une évolution de la première en intégrant d'autres critères, apprenant des travers constatés. Des services nouveaux sont pensés pour répondre aux besoins des citoyens, via la data toujours. Connectée, la Wise City est cependant plus sobre et prône un modèle à échelle humaine qui utilise les nouvelles technologies de manière raisonnable et raisonnée.

Quand la réalité rattrape la Smart City

Alors que l'utopie de la Smart City est initialement basée sur une ville parfaite, sur LA ville parfaite, les craintes s'invitent aussi dans cette imaginaire, alimentées par la réalité et par les observations remontées du terrain. Ces craintes concernent plus spécifiquement un totalitarisme qui semblerait vouloir s'installer dans la ville intelligente, une surveillance accrue voire omniprésente des citoyens, une privation de libertés individuelles et collectives ainsi qu'un contrôle quasi permanent des émotions des habitants.

La volonté de durabilité mise à mal dans la ville intelligente

Nous l'avons expliqué, la Smart City se veut durable et économe en énergie. Mais la blanche réalité se teinte (très) souvent de nuances de gris. L'empreinte environnementale des solutions technologiques est en effet importante dans la Smart City pour certains experts qui mettent en avant un véritable gâchis énergétique du numérique. "Les solutions que nous mettons en œuvre, comme le télé-relevé de compteurs, ont une empreinte carbone, nous ne le nions pas. Mais les bénéfices sont bien supérieurs au coût énergétique" , explique Xavier Mathieu. "Le concept de Smart City s’est au début déployé sur des constats : la raréfaction des ressources énergétiques et la densification des villes. Grâce à une meilleure connaissance du fonctionnement urbain, il est possible de diminuer l’empreinte carbone de la ville. Il ne s’agit pas seulement de mettre en place des technologies qui vont faciliter des usages à faible empreinte carbone. L’objectif est vraiment de les développer de manière intelligente : quelle technologie est déployée, à quel endroit et pour quel objectif ? C’est pour cela qu’un territoire doit établir une stratégie Smart City qui prenne en compte la consommation des ressources, les usages des citoyens, le type de technologies, et qu’il doit également être conscient de l’engagement qu’implique le déploiement de technologies d’une durée de vie de dix ans", explique encore Marie Bourget-Mauger, Project Manager Smart Building & IoT au sein d'Axians et doctorante en architecture.

Qui détient les clés de la Smart City ?

Acteurs publics, acteurs privés, citoyens, un peu tous à la fois ? Mais à qui appartiennent vraiment les clés de la ville intelligente ? Pour Jean Haëntjens, les acteurs du numérique sont ceux qui ont le pouvoir d'ouvrir toutes les portes non pas avec des clés, mais avec des données. Cependant "nous ne pouvons pas dire aujourd’hui qu’il y a une domination des systèmes urbains par le numérique. Mais deux logiques s’affrontent : la logique de la cité politique avec un maire élu par des citoyens, qui propose un projet de société à long terme et, de l’autre côté, la ville a son service, où l’intérêt général ne compte pas, où c’est Waze qui vous dit comment aller d’un point A à un point B. Tout le contraire de l’esprit collaboratif. C’est une ville qui fonctionne comme un supermarché ou le site d’Amazon : vous commandez les services en trois clics et la notion de collectif est complètement dissoute, c’est cela le danger" .


Il n'en reste pas moins que les plateformes du numérique ont un pouvoir certain sur la ville, celui de la transformer en profondeur. "La question est de savoir jusqu’à quel point les entreprises privées vont influer sur les choix des villes", questionne Stéphane Roche. "Garder la main sur l’espace public est fondamental. Certaines villes passent aujourd’hui des contrats avec des groupes privés pour le gérer. C’est le cas de Londres, où il existe une cinquantaine de private owned public spaces, c’est-à-dire des espaces publics qui sont détenus par des groupes privés. En contrepartie d’un loyer ou d’une concession, ils installent des publicités ou exploitent ces espaces", explique Jean Haëntjens.


Il semble donc évident que les données, les datas, sont un élément clé de la Smart City et participent à leur profond fonctionnement. Mais comment se positionne alors la ville ? Comme une simple gestionnaire des données ? Incontournables, ces données peuvent évidemment être monétisées mais également servir d'autres desseins, comme celui de la recherche ou du développement de projets en milieu académique. Reste donc à trouver une juste balance dans leur exploitation.

La Smart City, une ville sous contrôle technologique ?

C'est un travers que pointent du doigt de nombreux détracteurs de la ville intelligente. La vidéosurveillance, les capteurs, l'intelligence artificielle pourrait-elle mettre les citoyens sous contrôle permanent, les privant ainsi de certaines libertés, dans l'espace public notamment ? La fin de la vie privée est-elle en train de se dessiner ? De l'anonymat dans la Smart City ? Les capteurs placés aux quatre coins de la ville ont de quoi soulever les interrogations. La géolocalisation par exemple est le symbole de la liberté mais "aujourd’hui, la géolocalisation est semblable à une rematérialisation de la vie numérique des individus. Quand vous vous rendez sur un site Internet, il apprend à connaître vos goûts, ce que vous faites, avec qui, etc. Ce fonctionnement se matérialise désormais dans des centres commerciaux ou des espaces urbains sous la forme d’une personnalisation algorithmique des espaces physiques" explique Stéphane Roche.


La vidéosurveillance permet ainsi de "tracer" les citoyens, plus encore avec l'émergence de la reconnaissance faciale. "J’ai travaillé sur un projet pour une ville australienne, qui souhaitait mettre en place un outil automatique pour donner l’alerte. Relié aux caméras, son but était d’analyser le déplacement, la dynamique d’un individu ou d’un groupe par rapport à des normes et de signaler les comportements suspects. La question est de savoir d’où viennent ces normes, qui les a définies. Des dérives possibles existent et ces pratiques soulèvent la question du triage socio-spatial questionne encore Stéphane Roche.


Quel est votre modèle de ville idéale ? Envisagez-vous de mettre le cap sur un programme immobilier neuf dans une Smart City ? Laquelle ?

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