Vivre en ville est-il compatible avec une enfance épanouie ? De quelle Smart City rêvent les enfants ? D’une ville intelligente adaptée à leurs passe-temps favoris, d’une ville qu’il leur permettrait de courir, de sauter, de danser, de jouer, de rêver en sécurité. Quelle est donc cette ville idéale qui s’accorderait avec leur âge et leurs envies ? Un chercheur indépendant anglais, Tim Gill, s’est essayé à donner une définition, une approche, de cette cité faite pour les enfants.
Pourquoi la Smart City n’est pas adaptée aux enfants ?
Dire que la ville n’est pas un espace conçu en pensant réellement aux enfants est une évidence pour peu que l’on s’attache à en détailler les contours et équipements. Vivre en ville, qu’est-ce que cela signifie ? Cela veut dire évoluer dans un environnement pollué dans lequel le trafic est croissant, dense, imposant. Sur les trottoirs souvent inappropriés et trop petits, les deux roues et les piétons se frayent un chemin, frôlant ou même bousculant les bambins.
Le mobilier urbain à échelle adulte n’a rien d’une partie de plaisirs pour les plus petits qui peuvent à peine y accéder. Et que dire des espaces verts de moins en moins nombreux qui font cruellement défaut et pour se défouler et pour respirer en milieu bétonné.
Plus qu’inadaptée, il semble raisonnable de parler, dans les cas les plus extrêmes, d’une Smart City hostile. Mais alors c’est quoi, cette Smart City parfaite pour les familles ? Eléments de réponse éclairés par Tom Gill et son ouvrage No Fear : Growing Up in a Risk Averse Society, un ouvrage publié en anglais en 2007. Pour les présentations, voilà déjà plusieurs années que ce chercheur indépendant veut rendre la ville aux enfants et leur donner toute leur place dans l’espace urbain. Et pour cause, les enfants des villes sont nombreux, très nombreux même.
Entre lieu rêvé et lieu détesté, la Smart City a tout pour plaire et pourtant…
Pourquoi choisissons-nous la ville intelligente pour nous installer ? Pour une multitude de raisons. La Smart City permet en effet de vivre une vie épanouie, dynamique, énergique, remplie de culture et de sociabilisation. Pratique également, cette même ville est idéale pour gagner du temps entre les commerces et services à deux pas, les écoles pour les enfants, les lieux de culture et de divertissement, tout est accessible tellement rapidement.
Tous ces éléments sont bénéfiques pour les adultes mais également pour les enfants. Et pourtant l’omniprésence de la notion de danger et d’insécurité altère cette vision idéale de la Smart City. Le premier facteur de danger est évidemment la circulation. Pour Tom Gill, l’augmentation du trafic des automobiles et des deux-roues, ces cent dernières années, a rendu les villes largement plus hostiles pour les enfants. » Et il a raison, plus les villes se densifient, plus elles s’étendent, plus la circulation augmente. Avec elle, davantage de dangers et même de menaces mortelles pour les plus petits.
Mais il semble que les mentalités soient en train d’évoluer et que la voiture individuelle perde de sa superbe. Il suffit pour cela d’observer les villes sans voiture ou presque qui deviennent une réalité. Partout dans le monde, des territoires auparavant dédiés aux voitures et autres deux roues motorisés tendent à se piétonniser. Même si l’idée première n’est pas de rendre la ville aux enfants, l’envie de prendre soin de l’environnement agit en leur faveur également. Moins de voitures est synonyme d’espaces plus sécurisés pour les plus jeunes.
Les enfants sont de plus en plus nombreux dans la Smart City
Il y a encore peu de temps, la notion de « childless cities » était prépondérante dans les esprits. Mais la ville délaissée par les enfants n’est plus vraiment d’actualité. Pendant de nombreuses années, les citadins ont fui la ville pour trouver le bonheur ailleurs, à la campagne ou en banlieue plus précisément. Mais la tendance change et s'inverse. Les désavantages comme l’isolement, la nécessité de faire plusieurs kilomètres par jour en voiture, de perdre du temps à rouler, de ne pas avoir d’activités à côté a fait repenser la vision de la Smart City. Les habitants sont donc de plus en plus nombreux à faire leur come-back en ville voulant faire profiter leurs enfants des avantages précités. Ils veulent aller au théâtre en quelques minutes, bénéficier des commodités urbaines, éveiller leurs petits et leur ouvrir l’esprit…
Il n’est donc pas rare de voir les volets d’une maison se fermer au profit de quelques m² en moins mais situés en milieu urbain. Moins de verdure, moins d’espace, un sacrifice que les familles sont prêtes à faire pour laisser leur voiture au garage et profiter enfin des avantages citadins.
Cependant, certaines villes ont plus la cote que d'autres. Ces autres justement qui ne plaisent pas, ne prenant pas en considération les besoins des familles. Ces cités-là ont tout intérêt à se réveiller rapidement pour ne pas se voir désertées.
Quelles villes intelligentes sont adaptées aux familles ?
Les exemples de villes qui jouent la carte de la séduction auprès des familles sont multiples. On pense notamment à Rotterdam aux Pays-Bas qui a vu son centre délaissé il y a une quinzaine d’années. Les parents n’y sentaient pas leurs enfants en sécurité. Aujourd’hui, la tendance est complètement inversée. Des millions d’euros ont été déployés pour réduire la circulation, améliorer les espaces publics, réagencer les cours de récréations… avec une idée en tête : devenir une Smart City favorable pour les enfants. Et cela a fonctionné : les familles sont de retour et la ville intelligente est revenue dans le cœur des familles.
Second modèle, celui de la ville d’Oslo. Cette Smart City a été élue capitale verte de l’Europe en 2019. Elle a notamment drastiquement réduit la place des voitures en cœur de ville. Par répercussion, les enfants y ont retrouvé leur place. Et pour cause, la municipalité a décidé d’inclure les enfants au cœur de ses prises de décisions. Grâce à l’application Trafikkagenten, les plus jeunes peuvent donner leur avis sur les futurs aménagements urbains. Via un smartphone, les enfants entrent dans un ludique jeu de piste qui leur permet de repérer les dangers, les équipements inadaptés ou encore les zones inconfortables qu’ils rencontrent entre leur domicile et leur école. Les données sont ensuite collectées et analysées par la ville et utilisées à des fins d’amélioration.
Une association française, Récréations Urbaines, s’est inspirée de ce fonctionnement pour mettre au point des ateliers et des formations ayant pour objectif la co-construction de la Smart City en impliquant les enfants. Ils peuvent par exemple se prononcer sur les aménagements de leur cours de récréation, sur les aires de jeux situées à deux pas de chez eux… La ville inclusive, la ville intelligente de demain est celle qui permet aux enfants de jouer sans crainte et sans peur. Même si des modèles émergent, il est évident que le chemin à parcourir pour y parvenir est encore long.
Faut-il réserver des aires de jeux aux enfants dans la Smart City ?
Vous aurez remarqué que le territoire urbain propose des aires de jeux pour les enfants, certaines très bien agencées mais le plus souvent fermées par des barrières et portillons. Que faut-il penser de ses espaces cloisonnés ? Pour Tom Gill, le constat est sans appel. Les aires de jeux sont des « ghettos pour enfants ». Pour le chercheur, la Smart City est une cité dans et de laquelle les plus jeunes sont 100% acteurs. C’est-à-dire qu’ils peuvent y évoluer librement, s’y déplacer en toute sécurité, se sociabiliser dans chaque recoin, utiliser l’intégralité ou presque des équipements… Bref, la ville est idéalement un espace sans cloisonnement, sans barrière, sans enfermement. Bien sûr, les jeux sont indispensables, les enfants aiment s’y retrouver, mais la Smart City kids friendly est avant tout celle dans laquelle ils peuvent se déplacer à pied, à vélo ou en transports en commun facilement, rapidement, de manière sécurisée avec ou sans leurs parents.
La question de la mobilité au cœur de la ville intelligente
La mobilité est un enjeu de la Smart City, c’est indéniable. Mais il ne s’agit pas ici d’ouvrir le débat sur la mobilité verte et raisonnée, mais bien celle de la mobilité des enfants. Combien de parents laissent aujourd’hui leurs jeunes enfants circuler en ville sans crainte ? Aucun ou presque. Ce territoire hostile rend les parents (et par répercussion les enfants) anxieux. Conséquences, les parents ne laissent pas leurs enfants évoluer à l’extérieur et la ville n’est toujours pas adaptée aux enfants. Un cercle vicieux dont la linéarité tend timidement à être cassée. Certaines municipalités créent par exemple des rues pour jouer en interdisant la circulation certains jours fixes ou quelques heures par semaine. Une initiative qui connaît déjà des adeptes et des enfants ravis de ce territoire qui leur est laissé disponible.
Quant au sentiment d’insécurité et de danger permanent qui règne en ville, celui lié aux crimes notamment, Tom Gill rappelle que « les menaces et les crimes envers les enfants ne sont pas si élevés que ce que les gens pensent. Depuis deux ou trois décennies, dans la plupart des villes, les chiffres ont considérablement baissé. »
La Smart City idéale rend leur indépendance aux enfants
Les enfants citadins sont rarement autorisés à faire plus de quelques mètres en ville sans la surveillance d’un adulte responsable. Et plus les années passent, plus cette distance se réduit. Avec cette diminution, un manque criant de sociabilisation. Smart City et indépendance des enfants semblent donc incompatibles aujourd’hui. Et pourtant, c’est bien hors de la maison que l’enfant se développe, se sociabilise, acquiert une grande partie de son indépendance et de son autonomie. Responsabilisé dans son espace extérieur, l’enfant se développe et prend confiance en lui, il va davantage vers les autres, tisse des lieux et se connecte à son environnement.
En cela, il est indispensable que la Smart City soit une ville durable, adaptée aux enfants et qui leur permette de se déplacer facilement par les moyens qu’ils ont à leur disposition : leurs pieds et leurs vélos. La ville intelligente des enfants est également celle qui prend en compte l’importance de la nature, qui crée des espaces verdoyants et rend la nature accessible. Concevoir la ville pour les enfants, en se mettant à leur place, permet d’envisager les choses différemment, de penser une ville plus durable, plus résiliente. Alors que les dirigeants de nos villes ont souvent plus de 40 ans, c’est pourtant les enfants qui sont l’avenir de la Smart City, de la planète même. Et certains ont beaucoup à dire, à nous apprendre il faut l’avouer, ils mériteraient donc d’être attentivement écoutés…
La Smart City des enfants est résolument écologique
Pour conclure cette vision de la ville des enfants, il semble évident que cette Smart City dont ils rêvent tant est écologique en tout point. Pour que les enfants et leurs parents se sentent bien en milieu urbain, la nature doit y faire un retour en grande pompe. La (re)connexion à la nature est un fil conducteur indissociable d’un environnement serein. Cela passe par la réduction du trafic mais aussi par la création d’espaces verts et d’aménagements durables. On assiste d’ores et déjà à l’émergence de jardins collaboratifs, d’espaces d’éveil verdoyants intergénérationnels, de cours de récréations végétalisées, de l'idée de favoriser la biodiversité par tous les moyens, de planter des fleurs, des arbres, des fruits… à tous les coins de rue. Si ces différentes initiatives vous intéressent, consultez les projets menés par le collectif Merci Raymond œuvrant activement à la végétalisation des villes françaises. Ses acteurs ont fait de l’agriculture urbaine dédiée aux plus jeunes en Ile-de-France l’un de leurs chantiers quotidiens.
Les programmes immobiliers neufs en France s’illustrent eux-aussi par leur conception en partie tournée vers les enfants. Entre aires de jeux, espaces végétalisés et potagers partagés… les petits citadins se reconnectent (un peu) à la nature en bas de leur immeuble. Bye-bye bitume, bonjour végétation et biodiversité.
Quelle est votre vision de la ville favorable aux enfants ? Quels sont selon vous les équipements nécessaires à leur plein épanouissement dans la Smart City ?